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La convergence entre digitalisation et durabilité : une nouvelle ère pour l’innovation dans le secteur agroalimentaire

La digitalisation et la durabilité sont au cœur d'une transformation profonde du secteur agroalimentaire. Le projet de recherche CoEDiTAg étudie cette coévolution entre les trajectoires de développement des Équipements et Technologies Numériques (EDiTs) et l’écologisation des structures et organisations agricoles et agroalimentaires. Cet article, issu d’un des axes de travail du projet CoEDiTAg, publié par Isabelle Piot-Lepetit (INRAE/ co-responsable CoEDiTAg), analyse comment les technologies numériques et les principes de durabilité s'harmonisent pour transformer les modèles économiques et organisationnels du secteur.

 

Les notions clés :
 

La durabilité : un impératif multidimensionnel

La notion de « durabilité » est à la fois un processus et un objectif et regroupe trois piliers principaux :

  • Environnementale : Préservation des écosystèmes naturels pour les générations futures.
  • Sociale : Respect des aspirations sociétales en matière de bien-être, d'équité, et de justice.
  • Économique : Optimisation responsable des ressources pour une rentabilité durable.
La digitalisation : une transformation stratégique

La digitalisation crée un accès à d’importantes bases de données et une interconnexion accrue entre produits, services et organisations, favorisant l'innovation dans l’offre de produits et services. Toutefois, elle soulève des questions sur ses impacts sociaux et environnementaux, remettant ainsi en question sa durabilité.

La digitainability : équilibre entre digitalisation et durabilité

Le concept de "digitainability" a été développé pour la première fois dans une publication en 2020, dans la revue Sustainability1 et a été défini comme la combinaison de la digitalisation et de la durabilité dans les stratégies des entreprises.

Dans le secteur agricole et agroalimentaire, les technologies numériques sont considérées comme une solution permettant d’atteindre les objectifs de durabilité, notamment ceux issus du « sustainable develpoment goals (SDGs) »2 défini par les Nations Unies en 2015 et visant leur accomplissement en 2030.

Le rôle crucial de l'innovation ouverte et des startups

L’innovation ouverte, caractérisée par des partenariats et collaborations entre entreprises, et plus spécifiquement avec des startups, grâce à leur agilité, sont particulièrement propices à développer des innovations axées sur des comportements socialement responsables et des produits durables. Ces deux dynamiques organisationnelles jouent un rôle important et sont co-dépendantes.

La servitisation : vers un nouveau modèle économique

La servitisation implique de passer d’une approche centrée sur la commercialisation de produits à une approche axée sur l’association de produits et de services personnalisés, répondant aux critères économiques, sociaux et environnementaux de leurs clients.

Au prix d’investissements substantiels, elle semble offrir des opportunités d'investissements rentables à long terme et renforce la compétitivité des entreprises, notamment en favorisant des relations plus interactives et interdépendantes avec leurs clients.
 

Entretien avec Isabelle Piot-Leptit :
 

Comment s’inscrit votre travail dans le projet ciblé CoEDiTAg ?

Le projet CoEDiTAg est organisé en 4 axes de travail qui étudient différents aspects du développement des Equipements et Technologies Numériques (EDiTs) et de l’Ecologisation des modèles de production du secteur agricole et agroalimentaire. Cet article s’inscrit dans l’axe 1 qui étudie les changements dans l’organisation industrielle impliquées par le (ou résultant du) développement des EDiTs.

Cet axe de travail a pour finalité d’étudier comment les acteurs du secteur agricole et de l’industrie agroalimentaire s’intègrent à l’écosystème industriel général. Deux structures sont plus particulièrement étudiées : les startups et les plateformes (axées sur l’activité agricole et agroalimentaire ou non tant qu’elles peuvent être mobilisées par le secteur agricole et agroalimentaire).
 

Comment relier les conclusions de votre article avec la situation du secteur agricole et de l’industrie agroalimentaire française ?

Aujourd’hui, les innovations durables et digitales sont fortement portées par des startups ou des petites plateformes car elles se développent plus naturellement avec la double vision (durable/digital) dès leur origine.
En ce qui concernant les plus gros acteurs ou plus grosses plateformes, on voit des investissements dans le numérique sur la base d’orientations durables ou alors à l’inverse une recherche de durabilité à mettre en phase avec les solutions numériques préexistantes.

Les petits acteurs sont très observés par les plus gros, à la fois pour des rachats/acquisition d’idées innovantes, mais aussi pour des partenariats et collaborations. C’est donc un paysage très dynamique, car on peut voir à un moment donné une multitude de petites structures, qui peuvent rapidement disparaître suite à des rachats par des plus grosses structures, qui ont d’ailleurs pu les aider à se développer à leurs débuts.
 

Est-ce que cet écosystème français va se concentrer au fil du temps vers un modèle de gros acteurs ?

On ne peut pas encore répondre à cette question, même si sur le plan technique du fonctionnement des plateformes et entreprises, il faut grossir pour rester rentable, particulièrement dans le cas où elles se développent autour d’une seule activité. Or, on voit aujourd’hui des startups qui ne vont pas développer une activité uniquement productive, mais aussi une activité sociale et cela challenge ce principe de rentabilité lié à la taille, avec un principe de rentabilité repensé en lien avec la qualité des services qui répondent plus précisément aux besoins des clients.

Ceci représente un changement fondamental qui est assez récent, et peut être retracé à partir des années 2010, quand les petites plateformes se sont fortement développées. Comme elles offrent des services très spécifiques et de qualité, elles tendent à s’organiser en réseaux (plateforme de plateformes/système de systèmes) afin de continuer à se développer tout en maintenant un niveau de qualité de service élevé. Chaque entité sera alors garante d’une expertise spécifique dans un ensemble plus grand, ce qui leur permet de se maintenir et c’est ce modèle qui est assez nouveau et qui commence à être fonctionnel.
 

Quelles sont pour vous les prochaines étapes, prochains aspects à explorer en priorité dans ce domaine ?

Cet article était vraiment axé sur les relations entre startups et grandes entreprises et tous les défis d’open innovation que cela génère. Par la suite, il sera important d’étudier la notion de qualité, fondamentale dans le service. Aujourd’hui, grâce au numérique, il est possible de ne vendre aucun produit matériel ou de vendre des produits matériels sous couvert d’une prestation de service. Michelin en est un bon exemple. Cette entreprise loue ses pneus, aux agriculteurs pour leurs divers engins, et en assure la maintenance. Via un abonnement à cette prestation de service, c’est l’entreprise prestataire qui va s’occuper des pneus, et ce, de manière optimale, grâce aux données numériques récoltées par des capteurs qui permettent de détecter les différents besoins. Ainsi, la vente n’est pas basée sur le produit physique, mais sur le service.
C’est une évolution permise par le numérique car elle nécessite de la captation et de la transmission de données quasiment en temps réel. Les transactions ne reposent plus sur l’objet physique ; l’objet devient le véhicule de la prestation de service et donc de la transaction.

Ce phénomène a pris beaucoup d’importance durant les 5 dernières années donc c’est un aspect à suivre. En effet, il tend à mettre en place des systèmes de relations basé sur la coopération, dont la viabilité est assurée par la qualité du service, dépendant des outils numériques, afin de libérer du temps pour le client, agriculteur ou autre, qui pourra investir plus fortement son cœur d’activité et fournir à son tour des prestations de qualité.
 

Comment envisagez-vous les applications des résultats dans ce domaine sur le système agricole et agro-alimentaire dans les années à venir ?

La plus grosse évolution envisagée tient au fait qu’on parle généralement de chaîne de valeur, de chaîne de production et cette vision traditionnelle est finalement très linéaire. Avec ces plateformes de plateformes et multiples relations qu’une startup peut avoir avec plusieurs grosses entreprises, on est en train de se déplacer vers un écosystème fait de réseaux de valeur. C’est déjà en place chez les transporteurs, ils travaillent en réseau pour gagner du temps grâce à un multi-partenariat leur permettant de sécuriser le temps de la livraison en changeant de prestataire en cours d’acheminement si besoin.

Les déploiements ne se font plus vraiment comme avant avec un producteur, un transformateur, un transporteur, un distributeur, etc. Cela représente un gros challenge pour le secteur agricole et agroalimentaire car une grande transparence est réclamée pour leurs produits, et il devient nécessaire de mettre en place un système de traçabilité complexe de tous les acteurs des réseaux, mais facilité aujourd’hui par les outils numériques en place ou en cours de développement.

Cette vision et organisation en réseau représente une importante évolution, et aussi un challenge, tant au plan économique que technologique.

 

Référence de l’article :

Isabelle Piot-Lepetit. Digitainability and open innovation: how they change innovation processes and strategies in the agrifood sector?. Frontiers in Sustainable Food Systems, 2023, 7 (1267346), pp.1-9. ‌10.3389/fsufs.2023.1267346‌. ‌hal-04317295‌

HAL Id:hal-04317295 : https://hal.inrae.fr/hal-04317295

 

  1. Gupta, S., Motlagh, M., and Rhyner, J. (2020). The digitalization sustainability matrix: a participatory research tool for investigating digitainabilty. Sustainability 12:9283. doi: 10.3390/su12219283
  2. https://www.undp.org/sustainable-development-goals